25 Février 2016

Le texte de Muriel Blair est arrivé pour ma prochaine exposition "Les fantômes". Je vous le livre en primeur et j'ouvre le champagne avec mes deux amis Antonio et Mathieu. On fête aussi la fin du nouveau livre d'Antonio.

Ma rencontre avec la peinture de Saudan date de 1986 à la galerie Rivolta, en Suisse. Je ne l’ai plus quittée depuis. Des chaises, des vases, des natures mortes. Les grandes questions sur le motif étaient en place. Dominance de noir, détour brutal de formes élémentaires, étalement musclé, tout cela pour tenter de masquer une trop grande sensibilité au monde qui l’entoure. La déclaration était pourtant décelable: Olivier Saudan est un peintre romantique.
Sur l’île où je me suis installée depuis plus dix ans, Barra, au large de l’Ecosse, on appelle ces hommes “scallop’s heart”, littéralement cœur de coquille Saint-Jacques. C’est justement à Barra que j’ai revu pour la première fois Olivier Saudan, en février dernier. Il s’était retiré pour préparer sa prochaine exposition, “Les fantômes”, et également pour me revoir. Tant de choses nous unissent. Nous avons longuement parlé de ce projet au Castelbay Pub, il m’a montré les photos des pièces sélectionnées pour l’accrochage, ainsi que les bords de mer réalisés dans son cottage donnant sur la baie de Tràig Mhòr, au Nord de l’île, au titre troublant : “Éternité”. En parlant de fantômes, celui de Rimbaud n’est pas loin. Ces paysages nocturnes à la tempera, cendres de feu et spray de graffeur - un écart technique et pictural sur quelques siècles qui témoigne du discours radical de Saudan, comme on dit à Barra “Nid yw Pysgota yw'r maelgi gyda gweddi” (On ne pêche pas le monkfish avec des prières) – parlent de la mémoire et de la mort. Ces peintures dialoguent avec des poignards, des colliers étrangleurs, des laisses pour chien, des bouquets de fleurs, des chaises, comme un cabinet de curiosités dérisoire des désespoirs du peintre. La violence et la tristesse sont là, car le monde est triste et violent (et comme se plait à le dire souvent Saudan, il va fermer). En attendant cette fin annoncée, il continue à montrer sa peinture avec la même nécessité que nous mettons à respirer. Et ce que j’ai vu m’a bouleversée. Quelques paysages bleutés tentent de calmer le tumulte des noirs. Calmer l’angoisse de la chaise vide, sentir le couteau du tueur, humer les fleurs pour le cimetière, garder le collier du boxer disparu, tenir la laisse, pour se sentir moins seul. Si vous trouvez le monde de Saudan inquiétant et sombre c’est que vous n’avez rien compris. Ni à lui, ni à la peinture, ni peut-être au monde. Saudan aime simplement la vie, à un tel point que la question de la disparition, comme de l’apparition, constitue son problème quotidien le plus poignant comme son plus grand plaisir.
Peut-être Saudan est-il déjà un fantôme ? Et alors ? Sa peinture a suffisamment de présence pour nous persuader qu’il est toujours à nos côtés.
Muriel Blair, directrice du centre d'art contemporain de Caolas, Vatersay